Première montréalaise de « Yourcenar »

5 Août

On assistait hier soir à Pierre-Mercure à la première représentation montréalaise de Yourcenar – Une île de passions, un opéra d’Éric Champagne sur un livret d’Hélène Dorion et de Marie-Claire Blais. Disons que les passions s’expriment surtout par la retenue sur cette île : le décor est minimaliste, la musique, souvent statique, et les chanteurs et chanteuses bougent si lentement qu’on croirait assister à une séance de tai chi.

Yourcenar en générale – photo de Kevin Calixte

Le décor, fait de quatre blocs blancs disposés de chaque côté de la scène, reliés par un long banc et surplombés d’un écran, frappe lorsque l’on entre en salle; c’est beau! Le tout forme un encadrement à l’intérieur duquel, en fond de scène, apparaîtront les musicien-ne-s (ce sont Les Violons du Roy, augmentés d’un quintette à vents et de percussions, sous la direction de Thomas Le Duc-Moreau). Malheureusement, c’est beau longtemps, parce que le décor ne subit pas la moindre transformation tout au long de la performance. L’œuvre se penche sur quelques moments de la vie de Marguerite Yourcenar, qu’incarne en ton de gris la mezzo-soprano Stéphanie Pothier, et tourne principalement autour de sa vie amoureuse avec Grace Frick, d’abord, puis avec Jerry Wilson, les deux épisodes offrant la matière des deux actes. Dans le premier, c’est certainement la soprano Kimy McLaren, dans le rôle de Grace, qui retient le plus l’attention, tandis qu’au second, c’est le baryton Hugo Laporte (Jerry) qui tire le mieux son épingle du jeu.

Kimy McLaren et Stéphanie Pothier – photo de Kevin Calixte

Si on dit généralement d’un opéra qu’il est l’œuvre du compositeur « X » sur un livret de l’auteur « Y », ici, c’est le contraire, et le programme parle bien d’un « livret d’Hélène Dorion et Marie-Claire Blais sur une musique d’Éric Champagne » ; la balance de la notoriété aura penché du côtés des écrivaines. Disons néanmoins que l’on n’est pas foudroyé par la poésie dans ce texte qui décrit souvent des actions banales du quotidien, ou qui, biographie oblige, aligne des moments de narration relativement didactiques. Ces moments, par ailleurs, sont livrés par un chœur – six femmes, six hommes – qui est chaque fois bienvenu pour la texture qu’il apporte à la trame musicale. C’est particulièrement vrai au début du second acte, alors que la musique s’anime vraiment pour illustrer l’élection de Yourcenar à l’Académie française ; c’était la première femme à y faire son entrée, en 1980. Si l’œuvre gagne à ce moment-là une énergie qui manquait véritablement au premier acte, on peut quand même regretter que ce soit à cause des blagues grivoises et des commentaires de « mononc’ » des académiciens, même s’ils reflètent très certainement la réalité. 

Stéphanie Pothier et Hugo Laporte – photo de Kevin Calixte

La langueur du début fait place après l’entracte à des moments plus rythmés, tant dans la partition que dans le livret, et on les accueille avec plaisir, avant de retrouver la lenteur alors que l’opéra s’achève. Champagne utilise à la perfection les couleurs du quintette à vents, qui dynamisent les nappes de cordes ; soulignons particulièrement le travail impeccable du flûtiste Benjamin Morency, auquel il donne beaucoup de place. On se prend souvent à penser que le compositeur aurait sans doute fait des merveilles sur le plan des arrangements avec un orchestre de plus grande envergure. Son catalogue compte déjà des œuvres pour ochestre symphonique, comme on pourra d’ailleurs le constater à l’OSM en février prochain, alors que sa pièce Vers les astres, qui date déjà de quelques années, sera placée dans un programme qui compte aussi Stravinsky, Gershwin et Ravel (pas mal comme voisinage!).

N’oublions pas ici le travail d’Angela Konrad, qui utilise magnifiquement l’écran qui surplombe la scène et qui fait voir le travail du concepteur vidéo Alexandre Desjardins. On avait déjà pu constater dans le pièce Vernon Subutex, présentée en juin dernier à l’Usine C dans une adaptation de Konrad, que ces deux-là font des flamèches, et c’est encore le cas ici.

On peut certes féliciter l’Opéra de Montréal pour la présentation en ouverture de saison d’une nouvelle œuvre, et souhaiter qu’il maintienne le cap. On sait que « l’œuvre au noir » est le premier degré du processus qui mène, après la troisième étape, à l’acquisition de la pierre philosophale, le Graal des alchimistes. Comme Hélène Dorion, Angela Konrad et Éric Champagne en étaient à leurs premiers pas dans le monde de l’opéra, il sera intéressant de voir la suite de leur cheminement.

Création : Opéra de Montréal, Festival d’opéra de Québec, Les Violons du Roy

Livret : Hélène Dorion et Marie-Claire Blais

Musique : Éric Champagne

Mise en scène : Angela Konrad

Scénographie : Anick La Bissonnière

Salle Pierre-Mercure les 4 et 6 août 2022

https://www.operademontreal.com/programmation/yourcenar-une-ile-de-passions#distribution

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