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Première montréalaise de « Yourcenar »

5 Août

On assistait hier soir à Pierre-Mercure à la première représentation montréalaise de Yourcenar – Une île de passions, un opéra d’Éric Champagne sur un livret d’Hélène Dorion et de Marie-Claire Blais. Disons que les passions s’expriment surtout par la retenue sur cette île : le décor est minimaliste, la musique, souvent statique, et les chanteurs et chanteuses bougent si lentement qu’on croirait assister à une séance de tai chi.

Yourcenar en générale – photo de Kevin Calixte

Le décor, fait de quatre blocs blancs disposés de chaque côté de la scène, reliés par un long banc et surplombés d’un écran, frappe lorsque l’on entre en salle; c’est beau! Le tout forme un encadrement à l’intérieur duquel, en fond de scène, apparaîtront les musicien-ne-s (ce sont Les Violons du Roy, augmentés d’un quintette à vents et de percussions, sous la direction de Thomas Le Duc-Moreau). Malheureusement, c’est beau longtemps, parce que le décor ne subit pas la moindre transformation tout au long de la performance. L’œuvre se penche sur quelques moments de la vie de Marguerite Yourcenar, qu’incarne en ton de gris la mezzo-soprano Stéphanie Pothier, et tourne principalement autour de sa vie amoureuse avec Grace Frick, d’abord, puis avec Jerry Wilson, les deux épisodes offrant la matière des deux actes. Dans le premier, c’est certainement la soprano Kimy McLaren, dans le rôle de Grace, qui retient le plus l’attention, tandis qu’au second, c’est le baryton Hugo Laporte (Jerry) qui tire le mieux son épingle du jeu.

Kimy McLaren et Stéphanie Pothier – photo de Kevin Calixte

Si on dit généralement d’un opéra qu’il est l’œuvre du compositeur « X » sur un livret de l’auteur « Y », ici, c’est le contraire, et le programme parle bien d’un « livret d’Hélène Dorion et Marie-Claire Blais sur une musique d’Éric Champagne » ; la balance de la notoriété aura penché du côtés des écrivaines. Disons néanmoins que l’on n’est pas foudroyé par la poésie dans ce texte qui décrit souvent des actions banales du quotidien, ou qui, biographie oblige, aligne des moments de narration relativement didactiques. Ces moments, par ailleurs, sont livrés par un chœur – six femmes, six hommes – qui est chaque fois bienvenu pour la texture qu’il apporte à la trame musicale. C’est particulièrement vrai au début du second acte, alors que la musique s’anime vraiment pour illustrer l’élection de Yourcenar à l’Académie française ; c’était la première femme à y faire son entrée, en 1980. Si l’œuvre gagne à ce moment-là une énergie qui manquait véritablement au premier acte, on peut quand même regretter que ce soit à cause des blagues grivoises et des commentaires de « mononc’ » des académiciens, même s’ils reflètent très certainement la réalité. 

Stéphanie Pothier et Hugo Laporte – photo de Kevin Calixte

La langueur du début fait place après l’entracte à des moments plus rythmés, tant dans la partition que dans le livret, et on les accueille avec plaisir, avant de retrouver la lenteur alors que l’opéra s’achève. Champagne utilise à la perfection les couleurs du quintette à vents, qui dynamisent les nappes de cordes ; soulignons particulièrement le travail impeccable du flûtiste Benjamin Morency, auquel il donne beaucoup de place. On se prend souvent à penser que le compositeur aurait sans doute fait des merveilles sur le plan des arrangements avec un orchestre de plus grande envergure. Son catalogue compte déjà des œuvres pour ochestre symphonique, comme on pourra d’ailleurs le constater à l’OSM en février prochain, alors que sa pièce Vers les astres, qui date déjà de quelques années, sera placée dans un programme qui compte aussi Stravinsky, Gershwin et Ravel (pas mal comme voisinage!).

N’oublions pas ici le travail d’Angela Konrad, qui utilise magnifiquement l’écran qui surplombe la scène et qui fait voir le travail du concepteur vidéo Alexandre Desjardins. On avait déjà pu constater dans le pièce Vernon Subutex, présentée en juin dernier à l’Usine C dans une adaptation de Konrad, que ces deux-là font des flamèches, et c’est encore le cas ici.

On peut certes féliciter l’Opéra de Montréal pour la présentation en ouverture de saison d’une nouvelle œuvre, et souhaiter qu’il maintienne le cap. On sait que « l’œuvre au noir » est le premier degré du processus qui mène, après la troisième étape, à l’acquisition de la pierre philosophale, le Graal des alchimistes. Comme Hélène Dorion, Angela Konrad et Éric Champagne en étaient à leurs premiers pas dans le monde de l’opéra, il sera intéressant de voir la suite de leur cheminement.

Création : Opéra de Montréal, Festival d’opéra de Québec, Les Violons du Roy

Livret : Hélène Dorion et Marie-Claire Blais

Musique : Éric Champagne

Mise en scène : Angela Konrad

Scénographie : Anick La Bissonnière

Salle Pierre-Mercure les 4 et 6 août 2022

https://www.operademontreal.com/programmation/yourcenar-une-ile-de-passions#distribution

« L’ultime rock progressif du Québec »

4 Jan

En 2008, j’ai rédigé le texte d’introduction au livret de l’anthologie « L’ultime rock progressif du Québec« , publiée par Gala Records. Le texte est disponible sur le site de l’étiquette, mais il a perdu sa mise en forme et gagné quelques coquilles, alors en voici une version revue et corrigée.

Michel Rivard chantait : «En soixante-sept tout était beau / C’était l’année d’l’amour, c’était l’année d’l’Expo (…)»… Mais 1967, c’était aussi l’année de la parution du très surprenant Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, un disque enregistré non pas pour promouvoir la tournée suivante du groupe (les Beatles ont donné leur dernier concert le 29 août 1966, au Candlestick Park de San Francisco), mais pour permettre aux musiciens de lâcher la bride à leurs inspirations multiformes, le contexte, qui leur était pour le moins favorable, leur permettant les explorations musicales les plus folles.

On trouve dans cet album des Beatles presque toutes les caractéristiques qui définissent ce qui deviendra le «rock progressif» : un rock qui va plus loin, qui n’est pas simplement conçu «pour faire danser les bougalous», comme le chantait Robert Charlebois dans Ordinaire, en 1970… Tout d’abord, l’instrumentation utilisée est extrêmement sophistiquée et dépasse largement le concept «guitares-basse-batterie». Il y a par exemple, dans la pièce-titre, un très inhabituel quatuor de cors français et, dans une autre pièce, un quatuor à cordes, du clavecin, etc. Deuxièmement, la production du disque, même à une époque où l’on enregistrait sur quatre pistes, est un véritable petit chef-d’œuvre de montage et de design sonores qui utilise tous les trucs disponibles dans un studio d’enregistrement opéré par des ingénieurs du son imaginatifs. Ensuite, les pièces sont de styles fort diversifiés, mais la plupart d’entre elles s’enchaînent et sont unifiées par un thème, ce qui fait de cet album l’un des premiers «albums concept» (de nombreux groupes du genre en feront par la suite). Ce disque des Beatles est aussi l’un des premiers (sinon le premier) des disques de «musique pop» à inclure la retranscription des paroles des chansons sur sa pochette, un détail qui montre bien que cette musique a «quelque chose à dire de plus» (même si ce n’est pas toujours très compréhensible)! Enfin, la pochette elle-même comporte une foule de détails graphiques qui se rapportent au contenu musical, à commencer par les Beatles eux-mêmes, qui y prennent littéralement une nouvelle identité en enfilant les costumes du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (quelques années plus tard, Peter Gabriel se costumera aussi pour le concerts de Genesis, comme le feront aussi les membres de l’Infonie chez nous, de Magma en France, etc.).[1]

Les jeunes musiciens de l’époque comprendront rapidement que l’on peut désormais créer une musique qui n’est pas forcément destinée au «top 40» et que l’on peut faire du rock sans se priver d’utiliser d’autres genres musicaux. Par exemple, les musiciens ayant étudié dans des institutions ne se gêneront plus pour intégrer leurs influences venues de la musique classique ou de la musique contemporaine, et la virtuosité propre aux grands musiciens deviendra un élément important du rock progressif.

Le vent de fraîcheur musicale apporté par les Beatles souffle sur une année charnière: en 1967, en Angleterre, naissent ou s’activent déjà les premières incarnations de Van der Graaf Generator, de King Crimson (Giles, Giles & Fripp), de Genesis, de Jethro Tull et de Gentle Giant (Simon Dupree and the Big Sound), entre autres, et Pink Floyd lance son premier disque. Il serait de mise que tout cela ait commencé dans «les vieux pays», mais en parallèle chez nous, en effet, «tout était beau», et l’Exposition universelle de Montréal était l’un des plus beaux fruits de la Révolution tranquille, qui éveillait les consciences par centaines et remettait les pendules à l’heure. 

L’Infonie, c’est 1967 aussi, et c’est bien l’Expo qui en est le déclencheur. Qu’ils aient en poche un passeport de l’Expo ou qu’ils aient en tête quelques airs opiacés en provenance du Summer of love de la côte ouest états-unienne, ils seront bientôt nombreux chez nous à faire de la musique autrement. À une époque où une très grande partie de la jeunesse québécoise s’époumonait encore, avec un train de retard, devant les «vedettes» que lui offrait Pierre Lalonde à Jeunesse d’aujourd’hui (1962-1971), faire autrement, c’était diablement original et passablement risqué. En 1969, l’Infonie ridiculisera d’ailleurs le genre Jeunesse d’aujourd’hui sur son premier disque, avec la pièce Viens danser le «O.K. là»

Toujours en 1969, du côté de Valleyfield, le groupe Dionysos voit le jour. Son premier disque, un 45 tours, paraît à l’automne 1970. C’est Suzie, un clin d’œil à un autre artiste, américain celui-là, dont la musique a inspiré beaucoup de musiciens de chez nous : Frank Zappa (« Zappa d’ami, Suzie Creamcheese ! », chante Paul-André Thibert). En 1974, Plume Latraverse le salue aussi en chantant une ligne de Cruising for Burgers à la fin de sa pièce Bonne soirée et, le 30 juin de la même année, le lendemain d’un concert à la Place des Nations, à l’Expo, Zappa est en studio à Montréal pour enregistrer une chanson de Robert Charlebois (Petroleum), qu’il avait croisé plusieurs années auparavant (en 1967) en Californie. 

1974… On connaît déjà les premiers disques de Contraction (1972), d’Offenbach (1972), de Brégent (1973), d’Octobre (1973) et de Ville Émard Blues Band (1973). C’est en 1974 que Maneige lance son premier disque, sur lequel on trouve une musique instrumentale exigeante qui ne pactise guère avec la musique populaire d’hier. Enfin, c’est également en 1974 qu’un trio acoustique lance son premier disque de chansons. Ce trio s’appelle Harmonium. La même année paraissent aussi les premiers disques de Sloche et de Toubabou. On connaîtra bientôt Pollen (1976), Et Cetera (1976), Dionne-Brégent (1976), Conventum (1977), L’Engoulevent (1977), Ungava (1977) et L’Orchestre sympathique (1979). 

En 1977, c’est un autre raz-de-marée britannique qui frappe le monde, celui du mouvement punk qui prône un retour aux sources du rock and roll avec, en exergue, Do it Yourself et, comme credo, No Future. Certains avaient vu venir le coup : Robert Fripp mettait fin à King Crimson en 1974 pour devenir une «unité indépendante» (il y reviendra !); Peter Gabriel quittait Genesis en 1975. C’est en 1977, au moment où il commence à peine à toucher au succès international, que Serge Fiori met un terme à l’aventure d’Harmonium. La fatigue que ressent Fiori est généralisée et la grande ère des groupes de musique progressive s’achève, au Québec. Ils ne disparaîtront pas tout à fait et se transformeront (on parle presque déjà de «musique actuelle»[2]), mais le monde a définitivement changé, et leurs musiques ne retrouveront pas les succès publics qu’elles avaient pourtant suscités dans la décennie qui prend fin.

Plus de trente ans après, où en est-on ? Le groupe britannique Yes, un phare du rock progressif, célébrait en 2008 son 40e anniversaire par une tournée américaine avec à sa tête un chanteur… québécois! Benoît David a été recruté pour ses performances exceptionnelles au sein du groupe-hommage Close to the Edge. Un autre groupe-hommage québécois, The Musical Box, a tourné aux États-Unis et en Europe en reprenant la musique de Genesis et, dans son cas, ce sont les membres du groupe original qui sont venus se joindre à lui lors de quelques rencontres impromptues! Il y a des dizaines de groupes qui reprennent encore aujourd’hui les répertoires des grands groupes de rock progressif européens (ou québécois, comme Premier Ciel, qui reprend Harmonium), mais si on pouvait rêver un peu, dans le paysage « staracadémique » qui est le nôtre, c’est bien à des retours que l’on penserait… Un beau petit festival, avec les vrais Conventum, Octobre, Morse Code, Sloche et compagnie, ce serait quand même pas mal, non? Pour nourrir ce rêve, les deux disques de ce coffret sont sans doute la meilleure nourriture.

Réjean Beaucage (2008)


[1] Pour une étude détaillée des innovations apportées par Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, on pourra se référer au livre Sgt. Pepper and the Beatles – It Was Forty Years Ago Today, paru aux éditions Ashgate en 2008, sous la direction d’Olivier Julien.

[2] Pour en savoir plus à ce sujet, voir Musique actuelle – topographie d’un genre, de Réjean Beaucage (Éditions Varia, 2019).

Festival Soundtrips en Allemagne

24 Jan

À la fin du mois d’octobre 2019, j’étais invité par le NRW KULTURsekretariat à participer au festival Soundtrips en Rhénanie-du-Nord–Westphalie, une région de l’ouest de l’Allemagne, avec quelques collègues journalistes et photographes. De gauche à droite sur la photo: Eyal Hareuveni (Israël), RB, Rubén Coll Hernándes (Espagne), Peter Gannushkin (États-Unis), Petra Cvelbar (Slovénie) – absent de la photo, le photographe: Andreas Fellinger, alias felix (Autriche).

Ce reportage a été publié dans le no 261 (janvier 2020) d’Improjazz (France).

Du 31 octobre au 3 novembre dernier se tenait le festival Soundtrips en Rhénanie-du-Nord–Westphalie, une région de l’ouest de l’Allemagne dont la capitale est Düsseldorf. Le Secrétariat à la culture de la région avait invité quelques journalistes et photographes à suivre le déroulement de ce festival très spécial consacré aux musiques improvisées.

Ce qui frappe d’abord lorsque l’on consulte la programmation du festival, c’est qu’il se déroule dans quatre villes différentes, que l’on visite l’une après l’autre en quatre jours. Moers, Bonn, Wuppertal et Münster se partageaient donc un contingent composé de spécialistes de l’improvisation qui se présentaient dans chacune des villes du circuit selon des combinaisons variables. Nous avons pu suivre les activités présentées dans les trois dernières villes.

photo: RB

Bonn

Soutenue par la région, cette tournée fait appel à des invités internationaux et s’appuie sur les initiatives locales, un échange de bons procédés qui contribue à mettre chacune des composantes en valeur. Le tout débutait donc à Bonn avec une conférence organisée par la In Situ Art Society intitulée « Re:Form, A Conference On Improvisation ». Des réflexions de haut vol livrées par des spécialistes sur le modèle du colloque universitaire. On a pu y entendre des exposés de Marcus Schickler, Simon Rose, David Toop, Christian Grüny, Georges Paul et Nicola Hein, ces deux derniers étant par ailleurs aussi parmi les 12 commissaires ayant préparé le programme de cette 46e édition des Soundtrips (chaque année comptant plusieurs éditions). En soirée, dans la même salle (Dialograum Kreuzing an St.Helena, une salle animée par une programmation impressionnante), on a pu voir les 12 commissaires, présentés en trois quartets constitués par un hasard magnifiquement complice: Sebastian Büscher (saxophone) avec Sue Schlotte (violoncelle), Florian Walter (saxophone, clarinette) et Nicola Hein (guitare trafiquée) – Martin Theurer (piano) avec Erhard Hirt (guitare et laptop), Philippe Micol (saxophone) et Gunda Gottschalk (violon) – Carl Ludwig Hübsch (tuba) avec Georges Paul (saxophone), Martin Verborg (violon) et Martin Blume (percussion). À côté de ça, une performance solo du saxophoniste norvégien Torben Snekkestad et une autre de l’ensemble Nakama, également norvégien, présent sous forme de quartet en l’absence de son batteur (Andreas Røysum à la clarinette, Klaus Ellerhusen Holm au sax et à la clarinette, Ayumi Tanaka au piano et le leader Christian Meaas Svendsen à la contrebasse). Programme costaud!

Philippe Micol – photo: Petra CVELBAR 2019

Wuppertal

Le lendemain, nous étions à Wuppertal, quartier général du festival, d’abord parce les bureaux du « NRW KULTURsekretariat » y sont situés, et que nous y rencontrions Christian Esch, qui le dirige, mais aussi parce que c’est là qu’habitait le contrebassiste Peter Kowald, qui est l’âme de ce festival itinérant basé sur la collaboration entre artistes. C’est Gunda Gottschalk, représentante de la Société Peter Kowald et participante des Soundtrips depuis le tout premier en 2010, qui nous a parlé de l’influence du musicien. « En 1994, l’année de ses 50 ans, Peter a décidé de rester chez lui, à Wuppertal, plutôt que de partir sur la route comme il avait l’habitude de le faire. Mais il n’a pas arrêté de jouer avec d’autres musicien-ne-s pour autant… Il a lancé les invitations, et, chaque semaine, de nombreux improvisateurs se réunissaient chez lui dans ce qui devenait un lieu de rencontre international. » Deux mois après le décès de Peter Kowald en septembre 2002, une dizaine de personnes se réunissaient chez lui, Luisenstraße 116, pour fonder la Peter Kowald Gesellschaft et poursuivre la mission du lieu, simplement baptisé… Ort (lieu).

photo: RB

Ce soir-là, dans cet endroit très spécial, nous avons pu assister à des créations spontanées du saxophoniste Torben Snekkestad (qui joue aussi de la trompette avec son embouchure de sax) en collaboration avec Erhard Hirt, Martin Blume, Carl Ludwig Hübsch et Nicola Hein. La contrebassiste Joëlle Léandre, annoncée en solo, s’est laissée inspirer par la vocation du lieu et par le souvenir de son ami, invitant Gunda Gottschalk à la rejoindre pour un superbe duo contrebasse/violon. L’ensemble Nakama fermait la soirée.

Ensemble NAKAMA – Photo: Petra CVELBAR 2019

Münster

Le dernier jour de ce dense périple, nous étions à Münster pour rencontrer, dans l’après-midi, les animateurs d’un projet de centre communautaire qui devrait voir le jour dans les années qui viennent si les millions d’euros promis se matérialisent. Ce lieu, B-Side, transformera un immense entrepôt du port de Münster pour faire la promotion d’une contre-culture florissante, qui n’attend que ça pour faire contrepoids à la gentrification ambiante. Ce sera à suivre (www.b-side.ms).

Nous avons également eu le plaisir de discuter avec Erhard Hirt, qui est lui-même un improvisateur chevronné, mais également le responsable depuis des années de la programmation de la salle de spectacle du Cuba (un endroit qui n’a rien à voir avec une île des Caraïbes, son nom étant simplement l’acronyme de « Cultur und begegnungscentrum Achtermannstraße » (Centre culturel et communautaire de la rue Achtermann). Il est aussi l’un des cofondateurs de la Gesellschaft für Neue Musik Münster, qui organise depuis l’an 2000 le festival KLANGZEIT de Münster. En soirée, c’est dans la salle du Cuba, la Black Box, que nous avons pu voir les invité-e-s Torben Snekkestad, Joëlle Léandre et David Toop en interaction avec les commissaires Gunda Gottschalk, Erhard Hirt et Philippe Micol. Encore une fois, les différents duos créés pour l’occasion ont été traversées d’échanges créatifs intenses.

Gunda GOTTSCHALK et Joëlle LEANDRE – photo: Petra CVELBAR 2019

Ces trois soirées de concerts ont été offertes dans de petites salles, devant 50 à 70 personnes visiblement issues, dans chacune des villes, d’un public fidèle suivant régulièrement la programmation de leurs activités. C’était un plaisir de découvrir la vivacité de la vie culturelle en Rhénanie-du-Nord–Westphalie, particulièrement en matière de musique improvisée (notons qu’en cette dernière soirée à Münster, il y avait aussi à quelques rues de distance un concert symphonique avec des œuvres de Heiner Goebbels et de Moondog, cet iconoclaste américain décédé dans la ville allemande en 1999). En bref, on salue le concept fort original de ces Soundtrips, qui pourrait inspirer d’autres organisateurs de festival. Notre discussion avec Christian Esch, directeur du NRW KULTURsekretariat, s’est d’ailleurs terminée sur une ouverture à des perspectives internationales qui ne demandent qu’à être développées. Prost!

Ha! Voilà felix! – Photo: RB

Le retour de Musical Box

18 Avr

Après un premier passage en février, The Musical Box revient à la salle Wilfrid-Pelletier le 18 mai 2019, au milieu d’une tournée des États-Unis et du Canada qui retournera en Europe à l’automne. Le groupe a depuis toujours beaucoup de succès avec ses interprétations qui redonnent vie à la musique de Genesis et il le mérite, mais le programme qu’il présente actuellement risque d’en surprendre plusieurs, et pas toujours positivement.

Avec un titre comme « A Genesis Extravaganza » (ou, en français, « Une soirée d’extravagance »), le fan moyen de l’époque « classique » de Genesis, celle des belles années avec Peter Gabriel, peut s’attendre à s’en faire mettre plein la vue. Et encore, dans le texte de présentation du spectacle, on annonce même « des surprises ».

Depuis sa fondation en 1993, The Musical Box a repris dans leurs moindres détails les fastueux programmes que proposait Genesis une vingtaine d’années plus tôt (les programmes de tournée présentant les albums « Nursery Crime », « Foxtrot », « Selling England by the Pound », « The Lamb Lies Down On Broadway » et même « A Trick Of The Tail »). Leurs interprétations à l’identique de ces spectacles très avant-gardistes ont reçu des éloges partout, aussi bien en Europe et aux États-Unis que chez nous, et si je me souviens si bien d’avoir vu Genesis interpréter « The Lamb Lies Down On Broadway » au Forum de Montréal le 15 décembre 1974 (mon premier spectacle du genre, j’avais 13 ans…), c’est bien parce que j’ai pu voir plus récemment la reprise hallucinante qu’en a offert The Musical Box.

 

« Extravaganza », donc.

Après toutes ses reprises intégrales des programmes historiques du groupe, The Musical Box avait envie de se transformer en jukebox pour faire son propre programme en pigeant dans le répertoire de Genesis. L’idée était vraiment alléchante et l’on imaginait déjà que la galerie de personnages inventés par Peter Gabriel allait s’en donner à cœur joie sur la grande scène de Wilfrid-Pelletier. Hé bien non. La grosse surprise, c’est qu’il aurait fallu s’attendre à tout le contraire… Pas de « Watcher of the Skies » ou de « Slipperman », pas de « Britannia » ou de « flower »… Le répertoire choisi pour ce programme est vraiment étonnant, et, particulièrement dans la deuxième partie, il semble conçu pour plaire au véritable « hardcore fan » de la période Gabriel, aficionado de la première heure qui connait même « From Genesis to Revelation » et qui, après avoir tenté le coup, est finalement débarqué après « Wind And Wuthering ».

The Musical Box

Si Denis Gagné, le chanteur, en mettait en effet plein la vue dans les productions précédentes (comme Peter Gabriel avant lui), cette fois-ci, il semble bien décidé à prouver qu’il sait faire autre chose que chanter, jouer de la flûte et du tambourin (ce qui est déjà pas mal). Dans la première pièce, il est à la basse (non, ce n’est pas Mike Rutherford, malgré un air de famille), puis on le verra aux percussions et aux claviers avant de l’entendre chanter, et d’abord dans la peau de Phil Collins. Difficile de critiquer le programme sans trop vendre la mèche, parce qu’il y a bien, en effet, des surprises, mais enfin, disons qu’en bout de ligne on dirait bien que Gagné se prépare à nous offrir éventuellement son propre spectacle et qu’il veut se mettre de l’avant tout de suite, démaquillé et polyvalent. N’empêche, on est heureux quand il enfile enfin le perfecto de Rael pour plusieurs pièces de « The Lamb… », parce que c’est certainement le personnage inventé par Peter Gabriel qu’il rend le mieux.

Le répertoire choisi offre du plaisir à ceux et celles qui aiment les ballades comme « Entangled » ou « Blood On The Rooftops ». Ces personnes ne seront d’ailleurs certainement pas fâchées que le batteur Bob St-Laurent prenne un break à l’occasion, parce que le style de ce dernier, qui semble déterminer à défoncer son instrument, n’a que bien peu de choses à voir avec le jeu subtil de Phil Collins.

La deuxième partie du programme (qui en est le troisième acte) nous ramène au tout premier disque du groupe pour une pièce, puis offre un répertoire étonnant, avec « Seven Stones », « Time Table », « Looking For Someone » ou même une étonnante « Can-Utility And The Coastliners ». Il y a aussi des extraits de « Selling… », bien sûr, et même une pièce jamais interprétée en concert par Genesis, mais dans ce drôle de programme à rebours et, à vrai dire, dans le désordre, il reste que l’on se pose des questions sur la pertinence de certains choix, comme celui de jouer « Los Endos » au beau milieu de la première partie du concert.

En bref, The Musical Box a choisi de mettre l’accent sur la musique de Genesis davantage que sur les mises en scène qui ont fait la réputation du groupe à l’époque où Peter Gabriel en était, littéralement, l’attraction principale. C’est un parti-pris qui est certes défendable, mais ce n’est peut-être pas, simplement, l’extravaganza à laquelle on s’attendait.

Le 18 mai 2019, salle Wilfrid-Pelletier, Montréal

Une année qui rime en neuf

17 Fév

Beaucoup d’action du côté des musiques nouvelles en ce début d’année 2019.

D’abord, une édition février-mars de La Scena Musicale (vol. 24-5, pdf disponible ici) consacrée à la musique contemporaine. Avec Samy Moussa en couverture, pour un article d’Arthur Kaptainis, et plusieurs contributions de Benjamin Goron, qui a joint l’équipe de LSM en août dernier. Il nous offre un entretien avec Michel Gonneville à propos de sa « proposition opératique » L’hypothèse Caïn, présentée en création les 19, 20 et 22 février 2019, la dernière représentation étant inscrite à la programmation du festival MNM.

Il signale également la création canadienne de Klang, la dernière œuvre de Karlheinz Stockhausen, aussi à MNM, offre la parole à 10 artisan-e-s des musiques nouvelles, présente un portrait du compositeur Maxime McKinley (aussi directeur de la revue Circuit, musiques contemporaines) et décortique le mystère des partitions graphiques à travers le travail des Productions SuperMusique ! De son côté, Marc Chénard explore la contemporanéité dans le jazz. Bref, un beau numéro qui montre bien l’effervescence des musiques nouvelles à Montréal.

Ce bouillonnement était également perceptible à la remise des prix Opus du Conseil québécois de la musique, le 3 février dernier. Avec des prix à la très inventive Nicole Lizée, nommée Compositrice de l’année, au Quatuor Molinari (Concert de l’année – musiques moderne, contemporaine pour « Le Quatuor selon Ligeti », donné le 26 janvier 2018), au compositeur Gabriel Dharmoo pour sa pièce À chaque ventre son monstre (Création de l’année, par l’Ensemble Paramirabo, le 13 avril 2018) et au musicologue Danick Trottier pour « La création d’Another Brick in the Wall – L’opéra de Julien Bilodeau. Les différents enjeux du crossover entre opéra et rock », publié par la Revue musicale OICRM (vol. 4, no 2, 2017) et promu Article de l’année.

Jean Derome – photo: Charles Bélisle

On n’oublie pas, bien sûr, le musicien Jean Derome, lauréat de l’Opus remis au « Concert de l’année – musiques actuelle, électroacoustique » pour « Canot-camping, expédition #9», le 10 mai 2018, et d’un second prix pour son disque «Résistances», sacré «Album de l’année – musiques actuelle, électroacoustique» (avec l’Ensemble SuperMusique, sous étiquette Ambiances Magnétiques).

Notons que Jean Derome, toujours hyperactif, vient de lancer un nouvel album chez Ambiances Magnétiques : « Sudoku pour Pygmées», avec son ensemble Les Dangeureux Zhoms. On pourra voir Jean Derome sur scène à l’occasion d’un autre lancement de disque le 30 mars prochain au Cheval Blanc avec le Ratchet Orchestra.

Avec tous ces prix, tous ces articles, on n’a pas envie d’attendre la fin mars pour profiter de ce que Montréal a à offrir à nos oreilles curieuses! Ça tombe bien, parce qu’on aura largement de quoi faire le plein à compter du 21 février, grâce à la 9e édition du festival Montréal/Nouvelles Musiques !

MNM

Parmi les programmes à surveiller durant MNM, il y a celui qui marque l’ouverture du festival, le 21 février à 19h30, à l’église Saint-Jean-Baptiste : « HoMa », durant lequel les musicien-ne-s de l’ensemble de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) et du quatuor de saxophones Quasar offriront des œuvres spatialisées de Samy Moussa, Jean-François Laporte et Michel Gonneville, dont la pièce pour grand ensemble donne son titre au concert. L’organiste Jean-Willy Kunz interprétera aussi en solo Étude no 1, « Harmonies », de Ligeti.

Le 24 février, à 15h30, c’est à l’oratoire Saint-Joseph que ça se passera avec les 150 guitaristes de Instruments of Happiness, l’ensemble « augmenté » du compositeur et guitariste Tim Brady. Il offrira en création As Many Strings As Possible, Playing : Symphony #9. Nous aurons également droit à une diffusion de Revolution #9, des Beatles (ou, plus particulièrement, de John Lennon et Yoko Ono) et à des extraits de… L’Art de la fugue, du père Bach.

Instruments of Happiness – photo: Charlène Provost

Ce même jour, à 19h30, dans l’Espace Florence Junca-Adenot de l’Édifice Wilder, on pourra découvrir en création la Musique d’art pour violon, alto, violoncelle, contrebasse et électronique de Simon Martin, interprétée par des musicien-ne-s de l’Ensemble Musikfabrik. La musique du compositeur aura plus d’espace pour se déployer dans ce concert, où c’est la seule œuvre au programme, que dans les 5 minutes que lui offrait la SMCQ dans un concert l’année dernière, et c’est une bonne nouvelle.

Si les racines amérindiennes du quartier Hochelaga-Maisonneuve ont pu inspirer Michel Gonneville, pour la pièce HoMa entendue en ouverture de festival, c’est du côté du Nunavik et de ses chants de gorge si caractéristiques que le compositeur canadien Gordon Williamson a trouvé la matière première pour sa création « Encounters », présentée le 25 à Cathédrale Christ Church par deux chanteuses de gorge inuites, ensemble vocal contemporain et accordéon. Ce sont les Neue Vocalsolisten, de Stuttgart en Allemagne, où réside le compositeur, qui accompagneront les chanteuses Winnie Ittukallak et Lise-Louise Ittukallak, venues de Puvirnituq, dans le Nord-du-Québec.

Patrick Saint-Denis et Sarah Bronsard – photo: Kinga Michalska, 2017

Le mardi 26, 19h00, à la SAT, on pourra voir les accordéons robotisés de Patrick Saint-Denis danser avec Sarah Bronsard, entendre une œuvre pour percussions, instrument électronique et lumières de Chantale Laplante et découvrir une création de Roxanne Turcotte pour 25 appeaux et support multicanal immersif.

Ho! Et entre 17h et 19h, au Café SAT (la porte à côté), ce sera le lancement de mon livre, Musique actuelle – Topographie d’un genre (Éditions Varia). Venez vous en procurer une copie!

Il y a encore des programmes consacrés à des œuvres de Sandeep Bhagwati, de Jean-François Laporte ou de Karlheinz Stockhausen, dont le directeur artistique de MNM, Walter Boudreau nous offre la dernière grande œuvre, Klang, en un marathon de… 14 heures! Aussi à la Société des arts technologiques. Ce marathon Stockhausen (2 représentations) sera suivi d’un autre, La Grande Nuit, qui présentera des diffusions immersives d’une vingtaine de compositeurs.

La soirée de clôture du 2 mars présente un programme d’œuvres interprétées par le théréministe Thorwald Jorgensen et le Friction Quartet.

On pourra y entendre, parmi d’autres, l’excellente pièce La voix invisible, de Simon Bertrand, pour thérémine, quatuor à cordes et Boss Loop Station, et Le grand méridien, de Walter Boudreau, pour quatuor à cordes.

Bref, une autre superbe programmation pour Montréal / Nouvelles Musiques!

Au plaisir de vous y croiser.

Décès de Gérard Hourbette

5 Mai

En novembre 2017, j’ai rédigé une brève recension du coffret « 44 1/2 – Live and Unreleased Works », du groupe français Art Zoyd, paru chez Cuneiform Records.

Pour des raisons qui m’échappent, le texte n’a pas été retenu par la publication à laquelle il était destiné, alors il s’est retrouvé dans les limbes.

Aujourd’hui, j’apprends comme tout le monde le décès de Gérard Hourbette, qui en était le compositeur et le directeur. Alors, la voici cette recension. En souhaitant qu’elle vous donnera un petit peu envie d’aller voir de quoi il retourne.

Art Zoyd: 44 1/2 – Live and Unreleased Works (Cuneiform Records)

C’est le premier « box set » que fait paraître la petite étiquette américaine fondée il y a plus de 30 ans, et c’est pour célébrer un groupe français encore plus vieux, Art Zoyd, qui aurait été fondé en 1969, mais qui fête son 44e anniversaire et demi. Dans cette boîte, 12 CD et 2 DVD qui s’ajoutent à une discographie déjà bien fournie. Assimilé à ses débuts à la mouvance autour du groupe Magma et du mouvement Rock In Opposition (l’un des DVD est justement un concert au RIO Festival de 2015), le groupe a développé sa propre signature : musique répétitive, électronique et fortement évocatrice, voire théâtrale. Entre les musiques contemporaine et actuelle, celle d’Art Zoyd est toujours aussi spéciale aujourd’hui qu’à ses débuts, et mérite certes la découverte.

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RB

« Le Sacre » aux Grands Ballets

19 Mar

C’est bien entendu pour la musique de Stravinski que l’on va au Grands Ballets ces jour-ci. L’orchestre assemblé pour l’occasion, que dirige avec fougue le chef Jean-François Rivest, en offre une interprétation solide, malgré quelques « glitchs » qui devaient déjà être réglés à la deuxième représentation. L’équilibre entre les dynamiques est tout de même fragile, et il y a par moments, surtout dans Le Sacre du printemps, des explosions qui semblent un peu hors de proportion.

Crédit: Sasha Onyshchenko

Le paradoxe avec ces musiques de Stravinski, qui furent bel et bien écrites expressément pour le ballet, c’est qu’elles se suffisent parfaitement à elles-mêmes. À un point tel, d’ailleurs, que je me suis surpris à quelques moments à carrément fermer les yeux pour mieux la savourer. La chorégraphie imaginée par Étienne Béchard semble inspirée d’une rencontre entre les gangs de West Side Story et les freaks du Big Bazar, et comme on peut s’en douter, tout ce beau monde ne s’apprécient pas beaucoup, alors il y a de la tension dans l’air. On a l’impression d’assister à un jeu de massacre façon cirque romain, et le chorégraphe prend des libertés avec l’argument, mais à la fin, sans trop en dévoiler, il finira quand même bien par y avoir un élu pour le sacrifice.

Crédit: Sasha Onyshchenko

C’est un Sacre « grand public » qui, précisément, devrait plaire au public des Grands Ballets. Comme L’Oiseau de feu. L’œuvre de Stravinski, dont la création précède de trois ans celle du Sacre, est de facture beaucoup plus classique, et cela se reflète dans la chorégraphie de Bridget Breiner. Les trois solistes trouvent aisément leur compte dans cette enfilade de grandes mélodies.

C’est Vivaldi qu’Ivan Cavallari, le directeur artistique des GB, a choisi pour sa propre création, Presto-Detto, peut-être pour le contraste assez frappant avec Stravinski. Et c’est peut-être aussi pour ça qu’il a choisi de mettre un peu d’humour dans sa chorégraphie (quoi que, lisant son argument qui parle de « peindre la fureur de vivre, entre amour, acharnement et frénésie, jusqu’à la mort », on se demande un peu si ce n’était pas de l’humour involontaire). Avec ses danseurs habillés comme des rameurs, on dirait un numéro prévu pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Disons que le violoncelle solo de Yegor Dyachkov reste un peu au deuxième plan derrière ça.

Deuxième œuvre de Bridget Breiner au programme, In Honour Of, une création de 2014, aura quant à elle eu le grand mérite de nous faire découvrir la musique du Letton Georgs Pelēcis. Sa pièce In Honour of Henry Purcell ne cite jamais directement le compositeur baroque, mais l’atmosphère générale de l’œuvre lui doit beaucoup et elle offre un bel écrin au trio de danseurs qui l’habite.

Un programme somme toute assez varié, et puis, après l’entracte, la soirée se clôt avec Le Sacre du printemps, alors, quand même, on en sort heureux.

22, 23, 24 mars, salle Maisonneuve

https://grandsballets.com/fr/

Planète Boudreau

28 Fév

Bien sûr, il y a les tenants de la « musique pure », qui pensent qu’une œuvre musicale peut (ou doit) se suffire à elle-même, sans aucun support visuel, sinon celui fourni par la présence de l’interprète qui la met en forme. Walter Boudreau leur a déjà fourni amplement de quoi se remplir les oreilles ! Mais il n’a pas oublié les autres pour autant. Déjà, à l’époque de l’Infonie, il y avait largement de quoi se remplir les yeux aussi dans les concerts-performances de cet ensemble multiforme*.

L’Infonie en concert, circa 1970.

Plus tard, le compositeur n’a pas rechigné à mettre se musique au service du théâtre, avec le bonheur que l’on sait (sa musique pour L’asile de la pureté, de Claude Gauvreau [présentée au TNM en 2004 dans une mise en scène de Lorraine Pintal], lui a valu le prix Masque de la meilleure musique de scène et le prix du public des abonnés du TNM, puis elle a engendré le succès considérable de la Valse de l’asile, « popularisée » – si j’ose dire – par Alain Lefèvre, et enfin, elle est devenu le Concerto de l’asile, qui vient tout juste d’être enregistré par l’orchestre du CNA et Lefèvre). C’est sans compter les fois où Boudreau a dirigé l’ensemble de la SMCQ dans un contexte où le visuel avait son mot à dire (en danse avec Steve Reich, en cinéma avec John Oswald, etc.).

On peut donc penser que la musique et l’image font bon ménage, et on pourrait même avancer que la « musique pure » est peut-être une musique à laquelle il manque quelque chose (j’ai déjà écrit quelques pages sur ce sujet dans Circuit, sous le titre « Voir la musique aujourd’hui »).

Louise Bessette interprétant « Les Planètes », de Walter Boudreau.

Les Planètes, donc. Œuvre pour piano solo commandée par Louis-Philippe Pelletier en 1983 et dont la composition a été suspendue à maintes reprises avant que, finalement, l’œuvre puisse être créée en 1998 à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, sous les doigts du commanditaire. Pelletier a également enregistré l’œuvre pour parution en 2003 sous étiquette Centredisques.

Cette fois, le visuel s’ajoute à une œuvre préexistante. On peut le dire comme ça, ou on peut dire qu’il aura fallu attendre 2018 pour que l’œuvre soit complétée par son pendant visuel. Parce que c’est bien ce que fait le travail de Yan Breuleux (réalisateur) et de Rémi Lapierre (programmation) : il complète celui amorcé par Walter Boudreau pour en faire une œuvre audio-visuelle qui se tient. Présentée dans le fameux dôme de la Société des arts technologiques (SAT), dans une interprétation magnifique de Louise Bessette, Les Planètes offre un spectacle qui transporte le spectateur au cœur de notre galaxie (et ce n’est certes pas le trekkie assumé qu’est Walter Boudreau qui s’en plaindra !). Les images ne cherchent pas à « expliquer » la musique, mais elles en sont une émanation visuelle abstraite qui s’appuie sur elle comme le ferait une chorégraphie ; les deux aspects, le ballet cinématographique immersif et la musique de Boudreau (« calculée », explique-t-il dans le programme, sur le CYBER 7400 du Centre de Calcul de l’Université de Montréal) s’imbriquent, s’enlacent et semblent se générer l’un et l’autre en se développant.

Croquis de Yan Breuleux.

La musique est d’une grande fluidité, comme le mouvement des célestes objets qu’elle évoque, et le jeu de la pianiste est aussi lumineux que les milliers d’étoiles qui tapissent le voûte de la SAT. Il est d’ailleurs naturel que la musique et les images semblent si bien dialoguer, puisque c’est le piano-lumière inventé par Yan Breuleux qui génère les deux ! C’est peut-être d’ailleurs un autre aspect qui pourrait déplaire aux « puristes », à savoir que l’œuvre est interprétée sur un Disklavier. Les avantages que permet l’instrument dans ce cas-ci font évidemment pencher la balance en sa faveur contre n’importe quel piano acoustique, et le nombre de haut-parleurs qui habitent dans le ciel de la SAT garanti à tous et à toutes une écoute optimum. Les yeux rivés sur la partition, Louise Bessette ne peux malheureusement jouir du spectacle qu’elle nous offre, mais ces images vivantes qu’elle dessine en jouant donnent aux notes du compositeur des couleurs qui, visiblement, leur manquaient.

Le programme s’ouvre sur le premier mouvement de l’opus 27 no 2 de Beethoven, sa célèbre Sonate no 14, « Clair de lune », et par le troisième mouvement de la Suite bergamasque, « Clair de lune », de Debussy. Avant de voyager dans l’immensité avec Boudreau et Breuleux, on est sous le regard blafard d’une pleine lune mélancolique, dans un paysage qui pourrait être une pochette de Yes, dessinée par Roger Dean. Le programme est court, tout juste une heure, et c’est parfait. Du grand art.

•••• Jusqu’au 2 mars – à 19h – Louis Bessette présente Les Planètes, de Walter Boudreau, à la Société des arts technologiques (SAT)

* Pour avoir une idée de ce que pouvait donner un concert de l’Infonie, il faudra se rendre au Festival international de musique actuelle de Victoriaville en mai prochain, alors que pour le concert d’ouverture du festival, Walter Boudreau sera au centre d’un programme durant lequel un ensemble dirigé par Philippe Keyser interprétera Paix, le grand hymne de l’Infonie enregistré sur le « Volume 333 », et que l’ensemble de la SMCQ interprétera Solaris, de Boudreau, sous la direction du compositeur.

Toute une boîte d’Art Zoyd!

14 Fév

Art Zoyd : « 44 1/2 – Live and Unreleased Works » (Cuneiform Records)

• C’est le premier « box set » que fait paraître la petite étiquette américaine fondée il y a plus de 30 ans, et c’est pour célébrer un groupe français encore plus vieux, Art Zoyd, qui aurait été fondé en 1969, mais qui fête son 44e anniversaire et demi. Dans cette boîte, 12 CD et 2 DVD qui s’ajoutent à une discographie déjà bien fournie. Assimilé à ses débuts à la mouvance autour du groupe Magma et du mouvement Rock In Opposition (l’un des DVD est justement un concert au RIO Festival de 2015), le groupe a développé sa propre signature : musique répétitive, électronique et fortement évocatrice, voire théâtrale. Entre les musiques contemporaine et actuelle, celle d’Art Zoyd est toujours aussi spéciale aujourd’hui qu’à ses débuts, et mérite certes la découverte. 4/5

Art Zoyd-44_1_2-Live_and_Unreleased_Works

Une soirée à l’opéra, dude.

7 Juil

La vague parfaite, très rafraîchissante!

Le grand problème de l’opéra de type « classique », c’est que, bien souvent, il se prend vraiment trop au sérieux… Son livret, racontant une histoire de série Z qui tiendrait sur trois lignes, n’est pas le chef-d’œuvre qu’il croit être, les chanteurs ne sont pas les acteurs que l’on attend et puis la musique se répète sans cesse, et durant vraiment trop longtemps. Si en plus il y a des soucis, petits ou grands, du côté des costumes, du décors, des voix, de l’interprétation musicale ou de la mise en scène, hé bien, l’art total passe à la trappe assez fast. La reprise de La vague parfaite, que présente encore pour quelques représentations le Théâtre du Futur au Théâtre d’aujourd’hui, c’est heureusement tout le contraire de ça.

photo: Toma Iczkovits

D’abord, bien sûr, il s’agit d’une parodie, alors tout est permis dans cet opéra-surf, et on ne se prive de rien; le livret de Guillaume Tremblay et Olivier Morin nous plonge dans un futur où la figure du douchebag est du bon côté de la chaîne alimentaire, le fin du fin de la bravoure et de l’héroïsme, et où tout le monde semble directement sorti d’un épisode d’Alerte à Malibu (bien que, ici, on surfe plutôt à Tahiti). Alors oui, le texte est très drôle, et l’on n’a pas l’impression, comme devant tant de classiques, de rire machinalement de gags qui étaient déjà éculés au Moyen Âge.

photo: Toma Iczkovits

C’est une bonne stratégie de prendre complètement à contre-pied la production d’opéra « classique », parce que les attentes du public sont alors assez basses et que chaque bon coup (gag, référence au genre, etc.) élève le plaisir d’un cran. Comme l’ensemble est une suite ininterrompue de bons coups, on finit la soirée dans le plafond, mort de rire devant l’agonie du personnage de Mike Coal, qui s’éternise dans un climax qui n’en finit plus d’aligner comme autant d’horribles malheurs les niaiseries les plus absurdes.

photo: Toma Iczkovits

En résumé, on a une histoire qui a le chic de ne pas durer trop longtemps (1h40, quand même, mais on est loin des trois heures que durent régulièrement les grands ouvrages du genre), raconté dans un texte surréaliste qui se chante en allemand, en italien, en français et en anglais, et surtout en cet espèce de nouveau joual avec lequel s’expriment si fluidement les cool dudes et leurs chicks. On a un rastaman qui pousse la note en reggae, une Björk de pacotille, des personnages qui ont de vrais beaux moments de gloire, un pianiste (Philippe Prud’Homme) qui fait tenir tout ça debout (sans oublier les ambiances sonores de Navet Confit) et un divertissement léger qui contient en bout de ligne beaucoup plus que ce qu’il donne à voir. Il y a de belles leçons à retenir d’une pareille entreprise, et il serait souhaitable que tout aspirant à la création d’un « grand chef-d’œuvre opératique » passe par ici pour se calmer un peu le pompon.

7, 9 et 10 juillet à 20h
Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
3900 rue Saint-Denis
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/vagueparfaite