Festival Soundtrips en Allemagne

24 Jan

À la fin du mois d’octobre 2019, j’étais invité par le NRW KULTURsekretariat à participer au festival Soundtrips en Rhénanie-du-Nord–Westphalie, une région de l’ouest de l’Allemagne, avec quelques collègues journalistes et photographes. De gauche à droite sur la photo: Eyal Hareuveni (Israël), RB, Rubén Coll Hernándes (Espagne), Peter Gannushkin (États-Unis), Petra Cvelbar (Slovénie) – absent de la photo, le photographe: Andreas Fellinger, alias felix (Autriche).

Ce reportage a été publié dans le no 261 (janvier 2020) d’Improjazz (France).

Du 31 octobre au 3 novembre dernier se tenait le festival Soundtrips en Rhénanie-du-Nord–Westphalie, une région de l’ouest de l’Allemagne dont la capitale est Düsseldorf. Le Secrétariat à la culture de la région avait invité quelques journalistes et photographes à suivre le déroulement de ce festival très spécial consacré aux musiques improvisées.

Ce qui frappe d’abord lorsque l’on consulte la programmation du festival, c’est qu’il se déroule dans quatre villes différentes, que l’on visite l’une après l’autre en quatre jours. Moers, Bonn, Wuppertal et Münster se partageaient donc un contingent composé de spécialistes de l’improvisation qui se présentaient dans chacune des villes du circuit selon des combinaisons variables. Nous avons pu suivre les activités présentées dans les trois dernières villes.

photo: RB

Bonn

Soutenue par la région, cette tournée fait appel à des invités internationaux et s’appuie sur les initiatives locales, un échange de bons procédés qui contribue à mettre chacune des composantes en valeur. Le tout débutait donc à Bonn avec une conférence organisée par la In Situ Art Society intitulée « Re:Form, A Conference On Improvisation ». Des réflexions de haut vol livrées par des spécialistes sur le modèle du colloque universitaire. On a pu y entendre des exposés de Marcus Schickler, Simon Rose, David Toop, Christian Grüny, Georges Paul et Nicola Hein, ces deux derniers étant par ailleurs aussi parmi les 12 commissaires ayant préparé le programme de cette 46e édition des Soundtrips (chaque année comptant plusieurs éditions). En soirée, dans la même salle (Dialograum Kreuzing an St.Helena, une salle animée par une programmation impressionnante), on a pu voir les 12 commissaires, présentés en trois quartets constitués par un hasard magnifiquement complice: Sebastian Büscher (saxophone) avec Sue Schlotte (violoncelle), Florian Walter (saxophone, clarinette) et Nicola Hein (guitare trafiquée) – Martin Theurer (piano) avec Erhard Hirt (guitare et laptop), Philippe Micol (saxophone) et Gunda Gottschalk (violon) – Carl Ludwig Hübsch (tuba) avec Georges Paul (saxophone), Martin Verborg (violon) et Martin Blume (percussion). À côté de ça, une performance solo du saxophoniste norvégien Torben Snekkestad et une autre de l’ensemble Nakama, également norvégien, présent sous forme de quartet en l’absence de son batteur (Andreas Røysum à la clarinette, Klaus Ellerhusen Holm au sax et à la clarinette, Ayumi Tanaka au piano et le leader Christian Meaas Svendsen à la contrebasse). Programme costaud!

Philippe Micol – photo: Petra CVELBAR 2019

Wuppertal

Le lendemain, nous étions à Wuppertal, quartier général du festival, d’abord parce les bureaux du « NRW KULTURsekretariat » y sont situés, et que nous y rencontrions Christian Esch, qui le dirige, mais aussi parce que c’est là qu’habitait le contrebassiste Peter Kowald, qui est l’âme de ce festival itinérant basé sur la collaboration entre artistes. C’est Gunda Gottschalk, représentante de la Société Peter Kowald et participante des Soundtrips depuis le tout premier en 2010, qui nous a parlé de l’influence du musicien. « En 1994, l’année de ses 50 ans, Peter a décidé de rester chez lui, à Wuppertal, plutôt que de partir sur la route comme il avait l’habitude de le faire. Mais il n’a pas arrêté de jouer avec d’autres musicien-ne-s pour autant… Il a lancé les invitations, et, chaque semaine, de nombreux improvisateurs se réunissaient chez lui dans ce qui devenait un lieu de rencontre international. » Deux mois après le décès de Peter Kowald en septembre 2002, une dizaine de personnes se réunissaient chez lui, Luisenstraße 116, pour fonder la Peter Kowald Gesellschaft et poursuivre la mission du lieu, simplement baptisé… Ort (lieu).

photo: RB

Ce soir-là, dans cet endroit très spécial, nous avons pu assister à des créations spontanées du saxophoniste Torben Snekkestad (qui joue aussi de la trompette avec son embouchure de sax) en collaboration avec Erhard Hirt, Martin Blume, Carl Ludwig Hübsch et Nicola Hein. La contrebassiste Joëlle Léandre, annoncée en solo, s’est laissée inspirer par la vocation du lieu et par le souvenir de son ami, invitant Gunda Gottschalk à la rejoindre pour un superbe duo contrebasse/violon. L’ensemble Nakama fermait la soirée.

Ensemble NAKAMA – Photo: Petra CVELBAR 2019

Münster

Le dernier jour de ce dense périple, nous étions à Münster pour rencontrer, dans l’après-midi, les animateurs d’un projet de centre communautaire qui devrait voir le jour dans les années qui viennent si les millions d’euros promis se matérialisent. Ce lieu, B-Side, transformera un immense entrepôt du port de Münster pour faire la promotion d’une contre-culture florissante, qui n’attend que ça pour faire contrepoids à la gentrification ambiante. Ce sera à suivre (www.b-side.ms).

Nous avons également eu le plaisir de discuter avec Erhard Hirt, qui est lui-même un improvisateur chevronné, mais également le responsable depuis des années de la programmation de la salle de spectacle du Cuba (un endroit qui n’a rien à voir avec une île des Caraïbes, son nom étant simplement l’acronyme de « Cultur und begegnungscentrum Achtermannstraße » (Centre culturel et communautaire de la rue Achtermann). Il est aussi l’un des cofondateurs de la Gesellschaft für Neue Musik Münster, qui organise depuis l’an 2000 le festival KLANGZEIT de Münster. En soirée, c’est dans la salle du Cuba, la Black Box, que nous avons pu voir les invité-e-s Torben Snekkestad, Joëlle Léandre et David Toop en interaction avec les commissaires Gunda Gottschalk, Erhard Hirt et Philippe Micol. Encore une fois, les différents duos créés pour l’occasion ont été traversées d’échanges créatifs intenses.

Gunda GOTTSCHALK et Joëlle LEANDRE – photo: Petra CVELBAR 2019

Ces trois soirées de concerts ont été offertes dans de petites salles, devant 50 à 70 personnes visiblement issues, dans chacune des villes, d’un public fidèle suivant régulièrement la programmation de leurs activités. C’était un plaisir de découvrir la vivacité de la vie culturelle en Rhénanie-du-Nord–Westphalie, particulièrement en matière de musique improvisée (notons qu’en cette dernière soirée à Münster, il y avait aussi à quelques rues de distance un concert symphonique avec des œuvres de Heiner Goebbels et de Moondog, cet iconoclaste américain décédé dans la ville allemande en 1999). En bref, on salue le concept fort original de ces Soundtrips, qui pourrait inspirer d’autres organisateurs de festival. Notre discussion avec Christian Esch, directeur du NRW KULTURsekretariat, s’est d’ailleurs terminée sur une ouverture à des perspectives internationales qui ne demandent qu’à être développées. Prost!

Ha! Voilà felix! – Photo: RB

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